Voile au féminin : portraits de navigatrices engagées

Publié le 18 September 2024

Par Fabienne Macé

Que l’on parle de croisière le long de la Côte-Nord, de régates dans la Baie des Chaleurs ou de défis de navigation sur le fleuve Saint-Laurent, la voile souffle un vent d’adrénaline, de liberté et de confrontation avec les éléments. En villégiature ou en compétition, les voileux et voileuses forment une belle communauté solidaire teintée malgré tout de préjugés persistants dans un milieu largement masculin. À travers quatre portraits de navigatrices, découvrons ce que la voile apporte aux femmes et ce que les femmes apportent au monde de la voile

 

Ouvrir la voile aux femmes

C’est en 2014 que Michelle Cantin, présidente de Formation Nautique Québec, lance la première édition de la Coupe Fémina à Lévis sur le Saint-Laurent; des régates amicales entre femmes expérimentées ou débutantes, destinées à leur offrir un espace d’épanouissement et de dépassement. Année après année, la Coupe Femina fait de plus en plus d’adeptes et recrute une relève de jeunes filles pour lesquelles la formation est gratuite. « On leur donne la piqûre, on les contamine de passion, on leur fait découvrir le fleuve Saint-Laurent, et rapidement, elles sont autonomes », explique Michelle. En juin dernier, la Coupe Fémina, devenue le plus gros rassemblement de navigatrices au Canada et un levier pour démocratiser la voile au féminin, fêtait ses 10 ans de succès, de déploiement et surtout le départ de son équipage composé exclusivement de femmes sur la Transat Québec Saint-Malo. Il y a trois ans, l'idée d'avoir un bateau sur la Transat avec une équipe de filles semblait improbable pour Michelle Cantin et ses détracteurs. Contre vents et marées, elle concrétise le projet grâce à sa détermination infaillible et l’appui d’une communauté qu’elle a su rallier à sa cause à force de patience et d’intelligence.

Michelle Cantin. Crédit 📷 : Christine Bérubé

Malgré les déboires qui ont jalonnés leur parcours, grâce à leur ténacité et à la mobilisation du monde de la voile conquis à leur défi, les navigatrices du Femina Ocean Challenge marquent l’histoire en étant le premier équipage 100% québécois et 100% féminin à terminer cette transat, et qui plus est à seulement deux jours des plus grands, les champions sur des bateaux ultra performants. Sur les médias sociaux, ce sont ces femmes courageuses et persévérantes qui ont enflammé le public grâce à leurs bons coups et qui ont rayonné par leurs efforts et leur remontée incroyable! Une « success story » dont Michelle peut être fière, elle qui œuvre depuis des décennies à faire connaître la voile au plus grand nombre, à susciter des envies voire des vocations chez les femmes, à développer leur leadership et leur confiance.

 

Selon Michelle Cantin, souvent initiées à la voile par leur conjoints et dans un cadre masculin, les femmes découvrent cette activité à la dure. Elle estime que les formations nautiques destinées à un public féminin sont essentielles pour développer l’intérêt des femmes dans ce sport, les accompagner dans leurs apprentissages « à leur rythme, sans bousculade », comme le dit Michelle. « On est là pour les faire triper, pour qu'elles s'amusent, pour qu'elles prennent confiance et on va partir du point de départ, sans prendre pour acquis qu'elle savent ce qu'est un moteur! Les femmes apprennent d'une façon différente des hommes, pourquoi n’y aurait-il pas d'écoles pour les femmes avec des méthodes qui sont adaptées à ce qu'elles ont envie de faire? »

Encore unique femme propriétaire d’une école de voile au Québec, Formation Nautique Québec, Michelle Cantin se réjouit de ces initiatives : « c'est une façon de populariser la voile, d’offrir aux femmes un espace et l’opportunité de s'engager et même de briller. Plus les femmes vont aimer ça, plus ça va devenir une activité à pratiquer en couple, en famille, entre ami·e·s » et les hommes vont y gagner des partenaires enthousiastes et complémentaires et non pas perdre leurs prérogatives comme le craignent certains. « L’intérêt des hommes finalement, souligne Michelle Cantin, c'est de fédérer leur entourage féminin à leur passion et de pouvoir pratiquer avec les gens qu'ils aiment. Il faut que les gens comprennent qu’on fait évoluer la voile au Québec point barre. »

À gauche - Coupe Femina 2022. Crédit 📷 : Formation nautique Québec | À droite - Crédit 📷 : Femina Ocean Challenge
À gauche - Coupe Femina 2022. Crédit 📷 : Formation Nautique Québec | À droite - Crédit 📷 : Femina Ocean Challenge

Une rencontre, une passion

Justine Lalonde, 22 ans, originaire de Québec, nous parle de son parcours de voileuse entamé récemment. À l’écouter, on comprend vite que cette discipline sportive est au cœur de ses intérêts et donne de l’adrénaline à ses projets.

« J'ai commencé la voile en 2018 avec le programme jeunesse organisé par la Coupe Fémina. J’ai tout de suite été interpellée lors du tour de présentation de Michelle Cantin dans mon école. » Justine a été sélectionnée et en quelques semaines elle a acquis sans frais les connaissances élémentaires de la voile pour participer à la Coupe Fémina. Fonceuse et engagée, la jeune femme a ensuite enchainé les régates, les convoyages, les formations et sera bientôt certifiée instructrice.

« Ce que j'aime dans la voile, c'est avant tout l'aspect sportif, notamment les régates. J’y  retrouve l'esprit de compétition que j'avais en jouant au hockey pendant mon sport-études. Et aussi le fait de jongler avec les éléments; il faut réfléchir et planifier en fonction des courants, des marées, des fonds marins, des vents changeants, surtout ici à Québec où le fleuve Saint-Laurent est un des plans d'eau les plus complexes au monde. C'est une combinaison fascinante de capacités mentales et physiques. Et c'est cette diversité qui me plaît tant ». Justine goûte au plaisir peu commun d’avancer uniquement grâce aux éléments, « sans bruit de moteur,  juste le son du vent et des vagues qui frappent sur ton étrave ».

Justine Lalonde. Crédit 📷 : Formation Nautique Québec
Justine Lalonde. Crédit 📷 : Formation Nautique Québec

La jeune navigatrice aime la course, les stratégies de navigation, les défis physiques et confie qu’il est « crucial de prouver que les femmes sont tout à fait capables de gérer un bateau et de faire face à des conditions météorologiques difficiles, tout autant que les hommes ». Pour elle, « promouvoir la voile féminine en mettant en avant des équipages 100% féminins, c'est encourager d'autres femmes, jeunes et moins jeunes, à réaliser leurs rêves en voile ». Elle a à cœur de « montrer que les femmes n'ont pas à se priver de ce sport ou à laisser les hommes prendre les devants simplement parce que c'est un milieu traditionnellement masculin ». Toutefois, Justine n’en apprécie pas moins de naviguer avec des hommes, ceux qu’elle a croisés ayant toujours reconnu la place des femmes à bord, leur accordant toute confiance. « Que ce soit avec des hommes ou avec des femmes, chacun a des choses à apprendre de l'autre, et c'est cette diversité qui enrichit l'expérience », ajoute-t-elle. « Avec un équipage 100% féminin, il y a souvent une ambiance plus amicale, une certaine complicité, la dynamique change. » Et cela permet de démocratiser ce sport. Humble, elle admet être un exemple et précise qu’avec ses collègues du relais jeunesse, « chacune par son image, par ce qu’elle fait, peut aller en chercher d’autres », et grandir les rangs des pratiquantes de voile.

En parallèle de son cursus de navigatrice, Justine étudie à temps plein en soins infirmiers, visant peut-être une expérience dans le Grand Nord, mais elle « reste ouverte à l'idée que la voile pourrait prendre un tournant plus professionnel dans sa vie », rêvant éventuellement de rejoindre un équipage de course!

Crédit 📷 : Fabienne Macé
Crédit 📷 : Fabienne Macé

La voile, école de la vie

C’est au Québec que le premier Sport-études voile a vu le jour à Vaudreuil-sur-le-Lac en 2014. Créé par Carmen Denis, entraîneure de l'équipe canadienne de voile, et formatrice des entraîneurs et entraîneuses de haut niveau au Québec, ce programme d’études est unique au Canada. Carmen l’a mis sur pied pour développer des athlètes dans la province et au pays. « Ici au Club de Voile Deux-Montagnes, c'est le club où l'on navigue le plus, de mai à novembre. Le programme Sport-études fait avancer notre sport parmi les athlètes en leur offrant un suivi cinq jours par semaine, concentré sur la préparation mentale et physique, la nutrition, les techniques de navigation, la gestion des situations difficiles et les facteurs de performance. C’est un environnement complet! »

Carmen Denis. Crédit 📷 : Club de Voile Deux-Montagnes

Carmen Denis. Crédit 📷 : LECVDM

« Nous nous entraînons à différents endroits au Québec, notamment à Kingston, site olympique à 2h30 de Montréal, à Vancouver, et en hiver en Martinique, en Corse, à La Rochelle, ce qui permet des échanges et de découvrir d'autres environnements », nous explique Carmen. Et d’ajouter « le milieu de la voile est principalement masculin et anglophone au Canada, mais depuis 30 ans, nous avons démocratisé le sport et devenons de plus en plus forts au Québec ».

La passion reste son moteur. « J’aime ce que je fais depuis 40 ans et je continue à transmettre mes connaissances. Malgré les défis, je suis motivée par les progrès réalisés et les athlètes que nous formons. La voile est un sport exigeant, mais qui développe des qualités précieuses qui serviront aux jeunes pour être bien dans leur peau, avec des objectifs de vie et la force d’y arriver. » Oui, la voile est un outil éducatif formidable. Elle enseigne la persévérance, le dépassement de soi, la détermination, la stratégie, l’analyse tactique, l’activité physique, etc., qui sont des atouts incroyables pour la vie. « La voile est un sport hyper complet », résume Carmen Denis.

Elle regrette cependant la très faible participation des filles au programme; sans doute un problème de société où la confiance en soi et le courage ne sont pas transmis de la même façon selon le genre.  « Le manque de confiance et le besoin de courage sont des défis importants, surtout dans des sports où les filles doivent se battre contre les garçons qui sont souvent motivés par la compétition et le groupe, tandis que les filles cherchent davantage des aspects relationnels. » Pourtant, les modèles féminins sont nombreux à la fédération Voile Québec, notamment et à travers la Coupe Femina ; sans oublier Carmen, première entraîneuse femme au Canada qui transmet sa passion tout au long de l’année aux moniteurs, aux monitrices, aux coachs, aux enfants et aux jeunes, avec près de 300 athlètes formé·e·s.

« Nous faisons beaucoup pour favoriser les filles et nous nous posons beaucoup de questions sur la manière de les attirer. » Mais la voile de compétition reste une discipline éprouvante où l’on subit parfois le froid, la pluie, le manque de temps pour dormir, manger, aller aux toilettes… « ce n'est pas donné à tout le monde », ajoute-t-elle, hommes et femmes confondu·e·s.

Et de conclure  « le sport de voile au Québec a fait des progrès importants, mais il reste des défis à relever, notamment en termes de représentation féminine et de ressources. Nous continuons à avancer, motivé·e·s par les réussites de nos athlètes et par notre passion pour le sport ».

 

Mettre les voiles et changer de vie

Originaire de Mexico City, Maria San Emeterio n’était pas vraiment familière avec la voile. C'est plutôt son mari qui sortait son petit voilier le dimanche sur le lac Champlain, et qui avait évoqué l’idée de faire de la voile leur mode de vie. Mais « la routine est beaucoup plus grande que tous ces projets », ironise-t-elle.

Puis, une suite d’événements lui fait réaliser l’urgence de vivre ses rêves et elle le convint de tout lâcher pour partir vivre avec Tristan, leur fils de neuf ans à l’époque, sur un voilier.

Profitant de la période Covid, ils suivent tous les trois, leurs formations et stages en intensif afin d’être en mesure de naviguer de manière autonome, à travers le monde et c’est le début de  Liberté sur l’Océan, ses récits d’aventures aquatiques.

Crédit 📷 : Maria San Emeterio
Crédit 📷 : Maria San Emerito

Pour Maria, il était essentiel qu’eux trois avaient suivi des formations « car en mer, tu n’es pas à l’abri d'un accident, du mal de mer, d’une maladie, peu importe ». Aujourd'hui, après plus de 900 jours en mer, elle ne considère pas qu’ils sont autonomes, mais plutôt complémentaires tous les trois. Elle trouve extraordinaire que les trois aient reconnu leurs forces et leurs faiblesses. « C’est ainsi qu’on continue de naviguer », dit-elle, fière que Tristan, tout juste treize ans maintenant, fasse des quarts tout seul, de jour comme de nuit.

Aujourd'hui, depuis le Cap Vert, îles au large de l’Afrique de l’Ouest, Maria écrit un cours sur la préparation émotionnelle et mentale pour vivre dans ce style de vie nomade aquatique.

Formation Nautique Québec a été une école extraordinaire pour la famille, avec des instructeurs compétents qui donnent d’excellentes bases, mais elle souhaite partager l’expérience humaine, avec ses hauts et ses bas, que l’on ne voit pas toujours sur les réseaux sociaux, et qui pourtant permet une vie en mer heureuse et sereine. Être préparé·e à la violence d’une tempête soudaine, à échanger dans une langue inconnue, à profiter du temps qui s’écoule lentement, à choisir le bon voilier selon ses besoins, à faire appel à la communauté des marins, à créer de l’intimité dans un espace restreint, à gérer l’air salin et humide, à adopter un mode de vie minimaliste et écologique… en plus des dauphins, des couchers de soleil, des vagues turquoises, et des voisins et voisines de marina qui débarquent apéritif à la main. Déjà dix chapitres et Maria espère bientôt mettre sa formation en ligne. Comme elle adore rencontrer des gens, elle accueille aussi des équipiers et équipières (novices bienvenus) sur son bateau pour partager la vie de sa famille au gré du quotidien et découvrir le monde des voileux et voileuses : la pêche au harpon avec Tristan, la cuisine de produits locaux, les repas chaleureux, le yoga sur le pont, la quête d’une laveuse-sécheuse à quai, la toilette dans l’océan… dans la convivialité et le respect.

Crédit 📷 : Maria San Emeterio
Crédit 📷 : Maria San Emeterio

« Je travaille très fort pour ne pas arrêter cette vie. Il y a des moments durs mais les joies et les petits moments simples, comme la rencontre avec une famille cap-verdienne, la visite d’une baleine à bosse et son baleineau, les découvertes infinies, la chimie sans filtre qui se crée rapidement entre gens de la mer »… c’est ce que Maria aime le plus dans cette vie. Pas les étampes sur son passeport, en tout cas. Et quand la famille fait le tour d’un endroit, elle regarde la météo et lève l’ancre.

On l’aura compris, la voile, en tant que loisir, sport ou mode vie, en solo, en couple ou en équipe, regorge d’une mine d’or de valeurs et bienfaits. Populariser la voile auprès des femmes et réveiller des passions, c’est permettre à ces valeurs de rayonner sur leur entourage, créant ainsi un cercle vertueux de partage et de croissance collective. En la rendant accessible à toutes et à tous, on peut faire évoluer la perception du grand public et faire de la voile un vecteur de croissance personnelle et de partage, où chacune et chacune pourront s'épanouir et trouver un espace inclusif de liberté et d'accomplissement. Parce que comme le dit joyeusement Michelle Cantin « la voile, c’est le vent, l’eau, le soleil c’est thérapeutique …! »

Crédit 📷 : Fabienne Macé
Crédit 📷 : Fabienne Macé

Autres références intéressantes pour pratiquer la voile au féminin ou découvrir sa portée

Écovoile propose de faire de la voile entre femmes pour naviguer au gré du cycle féminin, des émotions et énergies des participantes, et créer un groupe bienveillant où les émotions et la sensibilité sont accueillies et utilisées comme une force, où les participantes se sentent à l'aise d'arriver telles qu'elles sont, en toute authenticité.

Un camp de voile au féminin destiné aux 8 à 13 ans au Club nautique du lac Brome pour inspirer les filles à pratiquer la voile, s’amuser et créer des amitiés. « En promouvant activement l’inclusion et en offrant des opportunités équitables d’accès à la voile, nous aspirons à créer une communauté de voile diversifiée, dynamique et véritablement représentative de la population québécoise ».

La Croisière des Alizés offre du soutien à des jeunes filles et jeunes femmes de 14 à 25 ans au prise avec des troubles alimentaires et en voie de rétablissement en leur offrant des excursions de voile en contexte d’intervention par la nature et l’aventure.

Deux épisodes du balado Voile au féminin, un espace d'expression pour parler de voile entre femmes, dans lequel Charlotte, voyageuse en voilier à la rencontre de navigatrices  s’entretient avec Michelle Cantin.

Restez à l’affût des prochains camps de voile des Chèvres de montagne au Club de voile Memphrémagog.

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